Faut que je vous dise, je suis parti ce matin à 8 heures de chez moi. Le voyage en train est assez long: plus de 3 heures. C’est donc vers 11h30 que je suis arrivé à Rorschach, petite bourgade au bord du lac de Constance, pour prendre l’itinéraire national n°3, chemin panorama alpin. Il se compose de 29 étapes et traverse la Suisse du lac de Constance, jusqu’à Genève. Au total, c’est 510 kilomètres. Et j’ai décidé de les faire cette année.
La décision s’est prise hier soir. Quant au choix de l’itinéraire, je la dois à ma complice de randonnée, mon amie Pascale, avec qui je montais vers le col du Tompey jeudi, et à qui j’expliquais que je souhaitais faire une via pendant mes vacances début juin. La via Jacobi ne m’intéressant pas trop, et les cols alpins et autres routes d’altitudes promettant encore de la neige, et en particulier des névés et autres plaques de neige en fonte que je n’aurais voulu avoir à traverser, elle m’a suggéré le chemin panorama alpin. Il traverse la Suisse, entre plaine et petites hauteurs, jusqu’à 1500 parfois 1600m d’altitude.
Le fait de ne pas avoir à réfléchir m’a facilité la vie. Merci Pascale. D’ordinaire, je tergiverse pendant des heures, sinon des jours. J’aurais cherché plus d’altitude, puis renoncé, puis cherché moins de bitume, puis plus de forêt, moins d’urbanisme, puis je serais revenu sur mes choix. L’idée était de faire quelque chose de relativement facile, sans surprise, et à l’accès facile à l’hébergement.
Pourquoi ce week-end ? Mes vacances ne commencent pourtant que la semaine prochaine. Simplement pour ne pas rester à la maison à ne rien faire, sinon à jouer à Cities Skylines et à regarder Star Trek sur Netflix. C’est à peu près les seules activités non professionnelles que j’ai en ce moment si je ne suis pas en randonnée ou en train de faire un footing. Hier soir donc, à la perspective d’un week-end honteux et culpabilisant, car c’est ce que je ressens dans pareil cas, j’ai décidé de me lancer sur le chemin panorama alpin.
Il a fallu que je fasse de nombreux choix. Allais-je prendre la tente et le nécessaire pour camper ? allais-je simplement chercher des hébergements ? chambre, douche, confort… Rentrerais-je dimanche soir ? ou lundi matin ? ou peut-être allais-je travailler en chemin, et donc prendre mon outil de travail et tout ce qu’il me faut pour participer en route à des meetings et travailler ? Allais-je avoir envie de flâner et de faire de la photo ? J’ai fini par décider que rien n’était écrit dans le marbre. Je me suis équipé pour le travail nomade, et la photographie. Toutefois dans ces conditions, il était exclu d’envisager de camper.
J’ai donc préparé mon sac en conséquences. Ordinateur portable et son chargeur, liseuse, étui de photographie avec appareil et objectifs, quelques vêtements, 2 litres d’eau… puis je l’ai pesé… 16kg. j’ai rouvert et j’ai sorti le kit de photographie. Je le sais pertinemment, en randonnée je ne fais pas de photographie. C’est trop contraignant. 14kg. Voilà qui est plus acceptable.
Je crois que c’est la première fois que je prépare mon sac la veille. Souvent, je tergiverse toute la matinée: j’y vais ? j’y vais pas ? je vais où ? combien de temps ? est-ce que je campe ? est-ce que je rentre ce soir ? Puis, épuisé de ne rien décider, je finis par me mettre en marche dans l’après-midi pour une randonnée dans ma région, qui souvent se terminera juste au crépuscule, voire au-delà. Ce matin, mon sac était donc prêt, et j’ai même décidé de prendre un train une heure plus tôt que prévu.
Avec moi, j’ai pris un outil essentiel sans lequel je ne pourrais jamais me mettre en chemin: Le droit, ou plutôt la liberté de choisir: choisir de continuer, choisir d’arrêter, choisir de rester, choisir de partir, choisir d’étendre, choisir de raccourcir. Sans cet outil vital, je serais resté chez moi afin de me garantir d’éviter l’échec, l’abandon, d’un projet trop ambitieux, d’un choix déplacé, que sais-je. Cet outil que je recommande vivement à tout le monde m’apporte une certaine sérénité.
Hier soir, j’ai choisis que la puis n’aurait pas d’importance. Je savais que j’allais essuyé (un comble) un orage, et une pluie battante pendant plusieurs heures. Et j’ai choisis que ce n’était pas grave. Ca m’amusait même de m’imaginer marcher sous la pluie, et repenser aux nombreuses fois où, surpris par les averses, je me suis renfrogné, j’ai râlé, et je me suis gâché le reste de la balade. Toute la différence est là: faire le choix. Dès que l’ont choisi d’accepter, un ne le vit plus de la même façon. Je savais que je serais trempé jusqu’aux os, je savais que mes chaussures se gorgeraient d’eau pendant la journée. Et j’ai décidé, sachant que l’on en meurt pas (Pascale en est la preuve bien vivante) de n’en faire cas.
Je suis donc arrivé à Trogen à 18 heures, trempé en effet jusqu’aux os, les pieds dans des piscines, la peau ratatinée sur tout mon corps comme après un bain de 3 heures 30, et c’est bien ce dont il s’agit: il a plu sans discontinuer de 14 heures 30 à 18 heures, heure de mon arrivée. Et c’était un choix, je l’ai donc vécu avec le sourire, voire parfois avec le fourire, comme lorsque j’entendais le sploutchs de chacun de mes pas, ou lorsque je me suis déshabillé pour prendre une douche, et que mes sous-vêtements étaient aussi trempés que si je m’étais douché avec. Je me suis demandé si la douche était utile.
Que dire du parcours ? La mondée depuis Rorschach ne m’a pas déçue: la vue sur le lac de Constance est magnifique, à condition de s’arrêter de temps en temps pour se retourner. Le paysage de la région est subtilement différent de ce dont j’ai l’habitude dans le jura, les pré-alpes et les alpes. De nombreuses collines, beaucoup de forêts, et, me semble-t-il, un stress agricole moins important que dans nos contrées. Les fruitiers que j’ai plutôt l’habitude de voir en plaine étaient également nombreux, et pourtant clairsemés. La vie à l’air d’avoir un autre rythme ici… plus calme, plus posée. Peut-être est-ce lié aux temps historiques que nous vivons, à moins que ce ne soit en effet un trait de la culture de cette région. L’architecture quant à elle est historique également. Plutôt conservée, avec de nombreuses façades en tavillons. Il reste également quelques façades aux volets hautement décoré comme on en trouve encore dans certains villes et villages historiques à travers notre pays. Même si j’apprécie également l’architecture moderne, celle-ci est le témoin d’un temps passé dont on doit se souvenir qu’il a façonné notre pays, notre monde.
Après un copieux cordon-bleu, repas typiquement suisse-allemand s’il en est, je vais de ce pas me poser dans ma chambre, et transcrire sur ce blog l’article que je viens d’écrire dans un cahier.