(Les photos sont celles du jour et ne sont pas forcément relatives à l’histoire)
Faut que je vous dise: ce matin, je me suis mis en marche tardivement. A 9 heures, pendant mon petit-déjeuner, j’ai suivi une première conférence téléphonique. Puis j’ai travaillé jusqu’à 11 heures, heure à laquelle devait commencer la réunion suivante. C’est donc le casque sur les oreilles que j’ai endossé mon paquetage et que je me suis mis en chemin. Étonnamment, j’ai été beaucoup plus attentif sur le contenu du meeting. Alors que d’habitude mon cerveau hyperactif trouve vite de quoi m’occuper pendant une réunion, et me fait perdre la concentration nécessaire, marcher m’a permis de rester en lien avec ce qu’il se passait dans le casque. C’est un fait connu aujourd’hui: se déplacer pendant une conversation, une réunion, un brainstorming, favorise la concentration et la productivité. En faire l’expérience était étrange, et intéressant.
Lorsque j’étais à l’école, j’avais toujours des gadgets dans les mains pendant les cours: jouets, règle, crayon, stylo, gomme, de quoi jouer avec mes mains mes doigts, ce qui m’a valu de nombreuses heures derrière la porte beaucoup d’objets confisqués par mes professeurs. Ca leur tapait sur les nerfs. Or, en 2017, alors que je venais de rejoindre Nutanix, je me suis retrouvé dans une formation de deux jours. Et là, sur les tables, la formatrice avait déposé des petits accessoires idéalement conçu pour qu’on ne puisse résister à les prendre les triturer dans tous les sens. Curieux, j’ai demandé s’ils allaient être utile à un exercice. Elle m’a alors répondu « Non. Certaines personnes arrivent mieux à se concentrer lors qu’elles peuvent s’occuper sur autre chose en même temps. » ALLELUHIA, LE MONDE EVOLUE. Soyons honnêtes, ça reste exceptionnel, mais ça prouve que certains cherchent à faire les bonnes choses. Ca va très bien avec le chemin que Nutanix tente de prendre avec sa culture. Chemin difficile s’il en est car il demande à chacun de remettre en question ses croyances, profondément ancrées, selon les quelles celui qui fait autre chose que d’être immobile n’est pas attentif. D’ailleurs, chez Nutanix, certains étages sont équipés de tapis roulant pour permettre aux gens de faire leurs conférences téléphoniques en marchant… C’était avant le confinement, mais le principe est là.
Durant ce périple, il faut justement composé avec cette petite voix qui dit « ça ne se fait pas… se promener en travaillant ». C’est mon plus grand défi. Nous vivons dans une société infantilisante aux idées archaïques de la hiérarchie et de la productivité, et je sais que si cette pensée me traverse l’esprit, ce n’est pas complètement de mon fait, mais bien le reflet de notre culture de l’apprentissage et du travail.
Le dénivelé du jour était important. De Appenzell, à 780m, je suis monté au Kronberg à 1670m pour redescendre au Schwägalp à 1280m. L’un des défis du jour était de trouver un lieu à l’abri pour pouvoir travailler dans l’après-midi. les sentiers suisses sont merveilleux. On y trouve de nombreux restaurants, chalets d’alpages, et j’ai eu la change d’en trouver un où j’ai même pu brancher mon ordinateur. Car lorsqu’on est nomade, c’est le prochain défi: avoir suffisamment d’énergie avec soi pour faire son travail, ou savoir où en trouver en chemin. Bien sûr, le restaurant d’alpage, c’est presque le luxe. Luxe que, je l’avoue volontiers, j’ai beaucoup apprécié. Mais assis dans un champs, à l’abri du vent, ça marche aussi.
L’autre défi (enfin, un des autres défis… finalement, cet article en est plein), c’est la communication. En effet, en ces temps où tout se fait en ligne, avoir un bon signal pour les appels, et pour internet est indispensable si l’on souhaite concilier travail et déplacement. Il est donc nécessaire de veiller à prendre des chemins sur lesquels la couverture est assurée, ou de planifier son trajet en fonction de ses besoins de communiquer. C’est donc avec ces nouveaux paramètres que je continue mon chemin du panorama alpin. Je vérifie mon agenda la veille, contrôle mon parcours, la couverture, et le relief, car celui-ci a une importance. Lorsque les étapes sont de 10 à 12km, c’est moins problématique. Il est assez facile de marcher 4h dans la journée, et de se poser soit le matin et le soir à l’hôtel, soit (ou également) quelques heures dans la journée. Lorsque le trajet est de 15 à 20, voir 25km, c’est une autre histoire, et je crois qu’il sera très compliquer de concilier les deux sur de longues étapes. Il faudra faire un choix: Découper les longues étapes, ou les faire le week-end. Jusqu’ici, ce n’est pas encore un souci.
En partant d’Appenzell, ou plutôt après deux bonnes heures de grimpettes, j’ai eu la surprise de constater que contrairement à ce que je pensais hier, je voyais encore le lac de Constance. C’est pourtant logique. Depuis Rorschach, je vais chaque fois plus haut. Il n’y a donc pour l’instant pas de montagne entre mes points culminants et le lac. Je crois que ça change demain.
Les sentiers suisses sont extraordinaires. ce sont des chemins à voyager dans le temps. La simple observation des panneaux de balisage nous emmènent à travers les âges. Du bois (pas sur ce parcours), nous sommes passé à l’acier moulé, la tôle frappée parfois, puis la plaque galvanisée et imprimée, pour enfin finir avec une simple plaque laquée sur laquelle on colle des étiquettes et des lettres. Inutile de dire que du point de vue de la durabilité, ces derniers sont les premiers à perdre le péquin. C’est la logique de notre monde moderne. Faire durer n’a plus d’importance. Il faut d’abord que ce soit bon marché. Il y a tellement de parallèles à faire. Je n’en ferai qu’un: lorsque nous sommes passé de la téléphonie fixe analogique au tout IP, la téléphonie par internet généralisée, nous avons tous constaté à quel point la qualité des communications n’était souvent plus au rendez-vous. Oui, mon cerveau fait des parallèles étranges.
Le chemin du jour m’a donc emmené à un point culminant, le Kronberg, d’où j’ai pu admirer le lac de Constance d’un côté, et le Säntis de l’autre. J’ai traversé les âges, non seulement en observant les panneaux, mais également les sentiers, tantôt en vieux bois décomposé, tantôt en ciment ou en gravier damé, partant à droite des sapins pour l’un, à gauche pour l’autre. J’ai même pu voir dans un bois quatre ou cinq vestiges de sentiers, tous menant au même endroit, chacun par un passage différent au fur et à mesure que la situation se dégradait.
Ce qui frappe lorsqu’on arrive au pied du Säntis, ce sont les rochers parsemés, nombreux, vestiges de très anciens effondrements de la montagne et les chalets d’alpages et autres granges et écuries dispersés dans ce décor improbable. Ce qui frappe encore dans ce paysage, c’est que l’on ne voit pas Schwägalp. Il est impossible d’imaginer ce qui attend le promeneur en fin de course. Car ce qui frappe de plus en arrivant au Schwägalp, à 5 minutes de la fin du parcours, c’est le bâtiment d’antan, hôtel d’un autre temps, peut-être. Puis ce qui frappe enfin, une fois arrivé audit bâtiment et dépassé sa façade, c’est de découvrir un hôtel moderne, gigantesque, digne des plus grandes villes, posé là, au milieu de nulle part, devant cette montagne aussi imposante que majestueuse et qui dans 20 ans, dans 50 ans, dans 100 ans jettera innocemment un petit caillou… oh, rien de bien méchant… de la taille d’un petit immeuble ou peut-être deux…
Marcher au pied de la montagne a tendance à remettre à sa place ma condition de petit être fragile et éphémère sur ce caillou suspendu dans l’espace…
… c’est la dernière fois que tu le vois …
bravo ! c’est très intéressant !